Nasri Badaoui est ingénieur de formation, passionné par l’intelligence artificielle (IA), à la fois dans ses aspects techniques et ses implications sociétales. Après dix ans dans le conseil en data science dans divers secteurs (énergie, tourisme, public), il a rejoint un grand groupe du CAC 40 en tant que Deputy Head of Data Science. Il est également le cofondateur de l’Observatoire de l’Intelligence Artificielle (OIA), un Think Tank axé sur deux missions principales :
- Publier des recommandations en politique publique autour de l’IA, en privilégiant les enjeux sociaux, environnementaux et de souveraineté numérique.
- Éclairer les débats publics sur l’IA, grâce à une approche pluridisciplinaire et apolitique.
L’OIA regroupe une diversité de profils (ingénieurs, startuppers, consultants) qui permet de traiter les problématiques liées à l’IA de manière transversale et exhaustive.
Découvrez les points clés de son interview de 20min ! 😉
Origine de l’étude : Pourquoi analyser l’impact de l’IA générative sur l’emploi ?
L’étude s’inscrit dans le contexte de l’ascension rapide de technologies comme ChatGPT, qui a atteint 100 millions d’utilisateurs en seulement deux mois début 2023. Cet engouement a déclenché des débats au sein de la communauté IA. Une analyse de Goldman Sachs a estimé que plus de 300 millions d’emplois pourraient être menacés à terme par l’IA générative.
Deux camps d’experts se sont formés :
- Les prudents : qui ont recommandé une pause de six mois dans le développement de l’IA générative pour évaluer les risques. Comme Yoshua Bengio (médaillé Turing).
- Les accélérateurs : qui voulaient accélérer l’IA générative, pensant que ses risques sous-jacents seraient maîtrisés par une autorégulation naturelle des acteurs du secteur.
Dans ce contexte clivé, l’OIA a choisi d’aborder l’impact de l’IA générative sur l’emploi de manière neutre, tout en restant fidèle à ses priorités sociales, environnementales et économiques.
Méthodologie de l’étude
Pour mener cette analyse, l’OIA s’est appuyée sur deux axes :
- Évaluer les emplois menacés :
- Les données de l’INSEE et d’autres portails gouvernementaux ont permis d’affiner les projections de Goldman Sachs sur un périmètre franco-européen, avec une segmentation par catégories socio-professionnelles.
- Estimer les emplois créés :
- En s’appuyant sur des corrélations établies par la Banque mondiale entre croissance du PIB et création d’emplois, l’étude a repris l’hypothèse de Goldman Sachs selon laquelle l’IA générative pourrait augmenter le PIB de 8 % sur 10 ans. Ces projections ont été adaptées au contexte européen pour estimer les emplois créés directement, indirectement ou de manière induite.
Conclusions clés : une transformation à deux vitesses
1. Un impact inévitable mais incertain dans son solde
Nasri affirme que l’impact de l’IA générative est indéniable et potentiellement massif, mais son solde net (emplois détruits versus créés) reste incertain. Il est crucial que la croissance économique liée à l’IA dépasse les prévisions pour équilibrer les pertes d’emplois.
2. Une temporalité contrastée
- Adoption rapide : Les métiers touchés par l’IA le sont rapidement, en raison d’un taux d’adoption record chez les employeurs et les employés.
- Émergence lente des nouveaux métiers : La création de nouveaux rôles dépend d’une transformation organisationnelle et d’une montée en compétences, des processus intrinsèquement longs.
Les nouveaux métiers de l’IA générative
Nasri distingue plusieurs catégories de métiers impactés par l’IA générative :
Métiers créés directement
- LLM Ops : Spécialistes de l’opérationnalisation des modèles de langage.
- Prompt Engineers : Experts des interactions conversationnelles avec l’IA.
- AI Ethics Officers : Garants d’une utilisation éthique de l’IA, souvent rattachés aux directions générales.
Métiers créés indirectement
- Évolutions dans les domaines du cloud, de la gestion financière (FinOps) et de la gouvernance des données (data managers, data stewards).
Métiers induits
- Ces rôles émergent indirectement grâce à la richesse créée par l’IA générative et peuvent toucher tous les secteurs.
Métiers transformés
- Les métiers existants intègrent de plus en plus d’outils numériques et nécessitent des compétences techniques accrues.
Recommandations pour les décideurs
Pour accompagner ces transformations, Nasri formule plusieurs recommandations :
1. Former et acculturer
L’adoption de l’IA générative est déjà bien avancée, mais il est essentiel de former les employés pour éviter une utilisation non maîtrisée et une obsolescence des compétences. Cela est crucial pour garantir une attractivité durable des entreprises.
2. Anticiper les mutations des organisations
Les décideurs doivent soit subir les transformations imposées par l’IA, soit les anticiper pour rester compétitifs. La transformation des modèles économiques et organisationnels est un impératif dans presque tous les secteurs.
3. Instaurer une gouvernance de l’IA
Avec un marché en ébullition, il est urgent de mettre en place une veille technologique et de développer des cadres éthiques et réglementaires pour maîtriser les risques et exploiter les opportunités.
Les enjeux publics et éthiques
1. Intégration dans le service public
Les administrations publiques doivent combler leur retard pour répondre aux attentes des citoyens, qui adoptent rapidement les technologies d’IA générative. Une approche participative entre administrations et citoyens pourrait renforcer la confiance et l’adhésion.
2. Réduction de l’empreinte environnementale
L’optimisation des algorithmes et du code peut contribuer à limiter l’impact carbone des technologies de l’IA.
3. Réglementation comme moteur d’innovation
Nasri défend l’idée que des régulations bien conçues peuvent stimuler l’innovation, comme l’ont démontré les normes environnementales pour les véhicules électriques ou les bâtiments à faible consommation énergétique.